En 1912, Louis Hémon, un écrivain de la région de Bretagne en France, arrive à pied à Péribonka après avoir parcouru les quelque 110 kilomètres qui sépare Roberval de Péribonka. Il héberge pendant un peu plus de deux mois chez Samuel Bédard qui l’engage comme homme de ferme. Pendant son séjour, il observe la population et prend des notes. C’est en 1914, alors que l’écrit de Louis Hémon est publié pour la première fois dans le journal parisien Le Temps, qu’on découvre l’histoire de Maria Chapdelaine, une histoire inspirée du village de Péribonka destinée à faire le tour du monde.
Demeuré méconnu de son vivant, Louis Hémon n’a cessé de faire parler de lui après sa mort. Son roman Maria Chapdelaine est considéré comme le premier roman agriculturiste du Québec. Il a inspiré de nombreux auteurs, favorisant ainsi l’émergence d’un nouveau genre. Les nombreux mythes l’entourant nous l’ont fait connaître tout en cachant sa véritable nature. Rédacteur français d’articles de sports ou romancier de la terre du Québec? On s’entend pour lui attribuer une personnalité rebelle et mystérieuse. Un homme qui a écrit l’histoire aux mille et une controverses.
Une vie, une œuvre à découvrir…
Louis Hémon vers 1885
Louis Hémon vers 1887
Photographie officielle de Louis Hémon publiée dans le journal Le Vélo pour publiciser son statut de gagnant au concours de nouvelles, 1904
Louis Hémon (deuxième à partir de la gauche) et Samuel Bédard (à droite de Louis Hémon) au camp d’arpentage, 1912
Ferme de Samuel Bédard autour des années 1910
CHRONOLOGIE DE LOUIS HÉMON
1880
Le 12 octobre, naissance à Brest (en Bretagne) de Louis HÉMON, troisième et dernier enfant de Louise LE BRETON (1851-1945) et de Félix HÉMON (1848-1916), professeur de carrière, inspecteur d’Académie et inspecteur général de l’Instruction publique.
1887-1897
Il fait ses études au lycée Montaigne d’abord (1887-1893), puis au lycée Louis-le-Grand (1893-1897).
1897-1901
Il prépare à la Sorbonne une licence en droit et un diplôme de la langue annamite à l’École des langues orientales.
1899
Il fait un premier séjour à l’Université d’Oxford. Il y reviendra en août 1901 et à l’automne 1902, sans y être inscrit toutefois.
1901
À partir du 14 novembre, il fait son service militaire à Chartres.
1902
Le 19 septembre, il revient à la vie civile et s’installe à Paris.
1903
Pour échapper à la carrière à laquelle le destine son père, il se réfugie à Londres, où il séjourne jusqu’en 1911. Il y travaille à titre de commis de bureau ou de secrétaire. Il occupe ses loisirs par la pratique du sport et de l’écriture.
1904
Il remporte le premier prix, prix d’honneur du Concours de vacances organisé par Le Vélo, un journal sportif parisien, avec un récit intitulé « La Rivière », qui est publié dans le journal, le 1er janvier 1904. C’est le début d’une longue collaboration qui se terminera le 5 août 1905.
1906
Il remporte un autre concours du journal L’Auto avec une nouvelle intitulée « La Conquête », publiée le 12 février, et un autre concours du même journal, à l’automne, avec une nouvelle intitulée « La Foire aux vérités », plus tard incorporée au recueil La Belle que voilà… (1923).
1907
À l’été, il a terminé la rédaction de la nouvelle « Lizzie Blakeston », publiée dans Le Temps (Paris), entre le 3 et le 8 mars 1908. Cette nouvelle clôt le recueil La Belle que voilà… (1923).
1908
Il rédige un premier roman, Colin-Maillard, publié en 1924.
1909
Le 12 avril, naissance à Londres de sa fille, Lydia-Kathleen, à la suite d’une liaison avec Lydia O’Kelley, une comédienne, internée peu après l’accouchement.
Il rédige Battling Malone, pugiliste, un deuxième roman, publié en 1925.
À partir du 29 octobre, il entreprend une collaboration au journal L’Auto, où il publiera, jusqu’au 26 août 1913, 24 récits sportifs.
1910
Il a terminé la rédaction de Monsieur Ripois et la Némésis, un troisième roman, qui ne sera publié qu’en 1950.
1911
Le 12 octobre, jour de son anniversaire, il quitte Liverpool, à bord du Virginian, à destination de Québec où il arrive le 18. Il rédige un journal de voyage, qui paraîtra en 1924, dans la revue française Demain, sous le titre « À la recherche de Maria Chapdelaine » et à New York, la même année, sous le titre The Journal of Louis Hémon.
Une semaine après son arrivée, il est secrétaire à la Sécurité du Canada, une compagnie d’assurances, mieux connue sous le nom de Security Life of Canada.
1912
Le 15 juin, il quitte son emploi et prend le train pour La Tuque, puis pour Roberval. De là, il se rend à pied à Péribonka, où il arrive le 29 juin. Il travaille comme garçon de ferme chez Samuel Bédard.
À la fin d’août, il est chaîneur pour le compte d’un groupe d’ingénieurs et d’arpenteurs qui projettent de construire une voie ferrée sur la rive nord du lac Saint-Jean.
Le 28 décembre, il quitte Péribonka pour Saint-Gédéon, où il rédige Maria Chapdelaine.
1913
En février, il obtient un emploi de commis de bureau à la compagnie Price Brothers de Kénogami, qu’il quitte fin mars pour retourner à Montréal.
Le 9 avril, il est traducteur à la quincaillerie Lewis Brothers, où il dactylographie en double copie le tapuscrit de Maria Chapdelaine, dont il envoie une copie au journal Le Temps de Paris et l’autre à sa famille.
Vers le 26 juin, il quitte Montréal pour l’Ouest canadien dans l’intention d’aller faire la moisson.
Le 8 juillet, il meurt à Chapleau (Ontario), heurté par un train de Canadien Pacifique. Il est inhumé dans le cimetière local.
À la fois louangé, controversé et critiqué, le roman Maria Chapdelaine n’est pas passé inaperçu dans l’histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean. Peu de livres québécois ont fait l’objet de plus de 150 éditions différentes en plus de 20 langues, inspirés trois adaptations cinématographiques et une pièce de théâtre.
Le récit de Louis Hémon s’est vendu à des millions d’exemplaires à une époque où les communications, encore peu développées, ne facilitaient en rien la commercialisation. Et pourtant, aujourd’hui, on parle du roman de Louis Hémon comme d’un important phénomène littéraire qui s’est étendu d’un continent à l’autre. En effet, à une certaine époque, des délégations de Français et d’Américains venaient au Lac-Saint-Jean seulement pour voir Péribonka : l’endroit à l’origine de l’histoire de Maria.
Au début des années 1910, à Péribonka au Lac-Saint-Jean, par une belle journée d’été, découvrant qu’elle est amoureuse de François Paradis le coureur des bois, Maria Chapdelaine, une belle grosse fille et vaillante, promet de l’attendre jusqu’à son retour du chantier pour la saison des épousailles.
Mais François Paradis ne reviendra jamais. Pour les fêtes de Noël, il a tenté de faire, seul et en raquettes, le trajet du chantier jusqu’à Péribonka afin de revoir Maria. Malgré les mille Ave de Maria suppliant sa visite, il s’est écarté dans la tempête et il en est mort.
Ce deuil fait éprouver à Maria une haine pour la campagne déserte, le bois sombre, le froid et le neige. Ce qui explique la séduction qu’exercera l’éloquent plaidoyer de Lorenzo Surprenant, l’émigrant installé aux États-Unis, pour la vie magnifique des grandes cités. De passage à Péribonka, il offre à Maria un règne heureux.
À son tour, Eutrope Gagnon, l’unique voisin dans ce territoire de friche, se propose à Maria en lui promettant de lui faire une belle terre. Maria reçoit ces deux propositions en silence ne pouvant engager son avenir.
Au décès de sa mère, elle écoute son père faire l’éloge de cette femme dépareillée. C’est alors qu’elle entend trois voix : celle quasi miraculeuse de la terre au printemps, celle de l’appartenance à la langue et à la civilisation française et celle du pays du Québec qui l’invitent, solennellement, à rester parmi les siens. Suivant l’idéal héroïque de sa mère et obéissant aux voix qui avaient parlé clairement, Maria se promettra à Eutrope Gagnon pour le printemps d’après ce printemps-ci.
Extrait tiré de l’exposition Maria Chapdelaine, vérités et mensonges, Musée Louis-Hémon
Équipe de tournage du film Maria Chapdelaine posant près du monument érigé en 1919 à la mémoire de Louis Hémon à Péribonka, 1934
Pierre tombale érigée au cimetière de Chapleau à la mémoire de Louis Hémon
Scène du tournage du film Maria Chapdelaine de 1934 à Péribonka
Lydia-Kathleen Hémon, fille de l’auteur, et Marie Hémon, soeur de l’auteur, lors de leur visite au Canada en 1938
Pochette du DVD du film Maria Chapdelaine de 1983 réalisé par Gilles Carle
Lydia-Kathleen Hémon, fille de l’auteur, lors de son passage à Péribonka dans le cadre de l’inauguration du Musée Louis-Hémon (pavillon contemporain), 1986
CHRONOLOGIE D’UN SUCCÈS
1914
Du 27 janvier au 19 février, publication de Maria Chapdelaine, en feuilleton dans le journal parisien Le Temps.
1916
Première parution en volume d’une œuvre d’Hémon, Maria Chapdelaine, chez Joseph-Alphonse Lefebvre (1869-1938), avec des illustrations de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté.
1919
Dévoilement d’un monument à Péribonka à la mémoire de Louis Hémon, grâce à la Société des arts, sciences et lettres de Québec et à son principal animateur, Damase Potvin.
1920
Érection d’une pierre tombale au cimetière de Chapleau sous les auspices de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
1921
Maria Chapdelaine inaugure chez Grasset, la collection « Les Cahiers verts », que dirige Daniel Halévy.
1923
Parution chez Grasset du recueil de nouvelles La Belle que voilà…
1924
Parution chez Grasset de Colin-Maillard.
1925
Parution chez Grasset de Battling Malone, pugiliste.
Dévoilement d’une plaque apposée sur la maison natale de l’écrivain à Brest par un groupe d’admirateurs canadiens. La maison et la plaque sont disparues lors de la Deuxième Guerre Mondiale.
1927
Parution du volume, à tirage limité à 50 exemplaires, d’Itinéraire, son récit de voyage.
1934
Julien Duvivier tourne, en partie à Péribonka, Maria Chapdelaine, avec en vedette Madeleine Renaud, dans le rôle de l’héroïne, et Jean Gabin, dans celui de François Paradis.
1935
Fondation de la Société des amis de Maria Chapdelaine.
1938
Fêtes commémorant, à Chapleau et à Péribonka, le 25e anniversaire de la mort d’Hémon. Visite de Marie, sa sœur, et de Lydia, sa fille.
Dévoilement d’un monument, près de la gare de Chapleau, et inauguration, à Péribonka, du Musée Maria-Chapdelaine.
1950
Marc Allegret tourne Maria Chapdelaine, d’après le roman d’Hémon, avec Michèle Morgan, dans le rôle titre. Le film est un échec.
Publication chez Grasset de Monsieur Ripois et la Némésis.
1963
Fêtes commémorant à Péribonka, le 50e anniversaire de la mort de l’écrivain. Dévoilement, le 28 juillet, d’un monument et frappe d’une médaille.
1968
Publication de la correspondance de l’écrivain, sous le titre Lettres à sa famille, présentée par Nicole Deschamps.
1980
Du 13 au 17 août, à Péribonka, fêtes commémorant le 100e anniversaire de naissance de l’écrivain.
À Brest, les 21 et 23 novembre, colloque international consacré à Louis Hémon dont les Actes sont publiés dans la revue Études canadiennes, en 1981.
1981
Le 8 août, fondation à la BCP du Saguenay−Lac-Saint-Jean, à Alma, de la Société des Amis de Louis Hémon.
1982
Publication des Récits Sportifs, édition préparée et présentée par Aurélien Boivin et Jean-Marc Bourgeois.
1983
Gilles Carle tourne le film Maria Chapdelaine, d’après l’œuvre d’Hémon.
1986
Le 5 juin, inauguration à Péribonka, du Musée Louis-Hémon en présence de Lydia, la fille de Louis Hémon.
1990
Parution chez Guérin littérature du premier tome des Œuvres complètes de Louis Hémon, édition présentée et annotée par Aurélien Boivin.
1993
Parution du deuxième tome des Œuvres complètes de Louis Hémon, consacré entièrement à la littérature sportive.
1995
Parution du troisième tome des Œuvres complètes de Louis Hémon.
2012
Programmation spéciale du Musée Louis-Hémon pour souligner le 100e anniversaire du passage de Louis Hémon à Péribonka.
2013
Le 4 juillet, Louis Hémon est désigné personnage historique du Québec par le gouvernement de la province.
Le 6 juillet, journée commémorative pour souligner le 75e anniversaire de fondation du Musée Louis-Hémon.
Les 31 octobre et 1er novembre, tenue, à Montréal, d’un colloque international sur Louis Hémon organisé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec dans le cadre du 100e anniversaire de la mort de l’auteur.
2015
Sortie du film Sur les traces de Maria Chapdelaine réalisé par Jean-Claude Labrecque et produit pas l’Office national du Film du Canada. Ce documentaire retrace le tournage du film Maria Chapdelaine en 1934, à Péribonka.
2016
Programmation spéciale du Musée Louis-Hémon pour souligner le 100e anniversaire de la première édition du roman Maria Chapdelaine.
Depuis la publication de la première édition du roman Maria Chapdelaine en 1916, certains monuments commémoratifs ont été implantés en l’honneur du roman Maria Chapdelaine et de son auteur.
De façon surprenante, à chaque fois, l’entreprise devint un sujet de controverse. Les œuvres les plus marquantes, sur ce plan, constituent probablement celles de 1919 et de 1986.
Le monument de 1919
À cette époque, le roman Maria Chapdelaine et son auteur commencent à être connus un peu partout. Damase Potvin, un homme de lettres réputé de la région, fait ériger à l’initiative de la Société des Arts, Sciences et Lettres de Québec, un monument pour leur rendre hommage et sur lequel il est inscrit :
« À
LOUIS HEMON
HOMME DE LETTRES
NÉ À BREST FRANCE
LE 12 OCT 1880
DÉCÉDÉ À
CHAPLEAU ONT.
LE 8 JUILLET 1913
HOMMAGE DE LA SOCIÉTÉ
DES ARTS SCIENCES ET
LETTRES DE QUÉBEC »
Toutefois, dans la communauté de Péribonka le roman ne fait pas l’unanimité. Certains sont outrés de la façon dont Louis Hémon décrit les habitants : des illettrés s’obstinant à défricher des terres de roches et s’adonnant à des médecines de charlatans. Pourtant, à l’époque où l’écrivain est de passage à Péribonka, plusieurs citoyens vivent d’une industrie de pâte et papier considérée comme le fleuron local et tous bénéficient de l’électricité. Selon les témoignages, trois jeunes vandales auraient balancé le monument à la rivière après l’avoir enduit de fumier de vache.
Le monument Femme et terre de 1986
Lors de la construction du bâtiment principal du Musée Louis-Hémon en 1986, Ronald Thibert est sélectionné, dans le cadre du Programme de l’intégration des arts à l’architecture du Ministère des Affaires Culturelles, aujourd’hui Ministère de la Culture et des Communications, pour créer une œuvre d’art inspirée du roman Maria Chapdelaine.
Il réalise une sculpture de granit noir et d’aluminium représentant le sillon des labours comprimés au cœur d’une sombre forêt. Seulement, la partie centrale en aluminium prend la forme d’un sexe de femme : c’est alors que l’œuvre prend le surnom de L’hymen à Maria.
Perçu comme une obscénité scandaleuse par certains citoyens, le monument Femme et terre fut recouvert d’une toile épaisse, puis découvert en raison des pressions de l’artiste. De nos jours, il s’agit encore de l’une des attractions majeures du Musée.